B[R]OUILLON DE CULTURE...
ZAGZIGONES
La première création du Théâtre de la Croix-Rousse :
un "récital magique" aux allures de mauvais cabaret
Vendredi 07 novembre, 19h30, théâtre de la Croix Rousse : deux places m’attendent à la billetterie pour le spectacle « Menu : Plaisirs ». C’est un peu par hasard que je me trouve là ce soir, puisque les places m’ont été gracieusement offertes par l’Université de Lyon 2 Lumière. Je n’aurais probablement pas décidé par moi-même d’aller voir ce « récital magique » – c’est ainsi qu’est présenté le spectacle – : il me semblait incongru, cependant, de ne pas apprécier, en ce début d’année étudiante chaotique et ombrageux, la première éclaircie apportée par une université qui se targue, par son nom, d’apporter la lumière.
Ce « récital magique » est interprété par Jean-Paul Fouchécourt au chant : le nom m’est inconnu, mais le programme annonce un ténor d’envergure internationale, qui s’est démarqué dans de grands rôles du répertoire baroque (Platée de Rameau, ou Arnalta dans l’Incoronazione di Poppea di Monteverdi) sur de grandes scènes comme celles du Metropolitan Opera de New-York, ou l’opéra de Paris Bastille. A ce casting prometteur, s’ajoute le nom de Jean Lacornerie : c’est le directeur du Théâtre de la Croix-Rousse lui-même qui met en scène ce spectacle, signant ainsi sa première création de la saison.
La lumière qui annonce le début de la représentation éclaire un plateau quasiment nu : un piano à jardin, et, du même côté en fond de scène, un grand parapet arrondi constituant une sorte de coulisse à vue. Scénographie relativement épurée donc, qui laisse à Jean-Paul Fouchécourt tout l’espace nécessaire pour se livrer à un récital qui n’a de magique que le nom.
L’entrée en scène, digne d’une mauvaise comédie, est annonciatrice : alors que le pianiste, Jamal Moqedam, a déjà entamé un morceau, dans l’attente embarrassée de son partenaire de jeu, un homme de petite taille arrive sur scène en robe de chambre, et, feignant de découvrir la présence du public, s’exclame : « Ah, mais vous êtes déjà là ? Attendez, je suis à vous dans un instant ! » Le ton est faux, outré, digne d’un mauvais comédien. Après un tour sur lui-même, Jean-Paul Fouchécourt fait face à la salle et se déshabille lentement, laissant apparaitre un smoking noir qui sera son costume de scène pour la quasi totalité de la soirée : « Ce soir, je serai votre coach de plaisir ! » lance-t-il au public. Car tel est, en effet, le « menu » de ce spectacle : faire le « portrait » du ténor – pour reprendre les mots de Jean Lacornerie – à travers l’exploration de son répertoire musical en n’obéissant à d’autre contrainte que celle du plaisir. Dommage, cependant, que cet objectif affiché mette à mal toute ambition artistique, donnant ainsi lieu à une plate succession de numéros au mieux agréables, et au pire franchement décevants. On pense, par exemple, au premier numéro au cours duquel il interpelle une spectatrice pour lui demander son sac à main : après avoir posé ce qui se révèle bien vite être un accessoire de jeu sur une chaise au centre de la scène. Jean Paul Fouchécourt s’emploie à en décortiquer le contenu. Cette scène n’est rien autre qu’un prétexte à une énumération de clichés sexistes dont la seule originalité est celle d’être chantés : quelle membre de la gente féminine n’a pas en effet toujours dans son sac à main une paire de porte-jarretelles, un soutien-gorge en dentelle et plusieurs objets à connotation phallique, devenant pour le comédien sujets à des gesticulations clairement sexuelles d’un goût franchement douteux ?
La performance musicale est en soi réussie : la voix, puissante, est bien posée ; la diction fluide et énergique, est impressionnante. Jamal Moqedam accompagne au piano avec discrétion mais talent ce voyage à travers les siècles et les genres que nous propose Jean-Paul Fouchécourt : sur des pièces musicales allant de Mozart à Pulenc, le ténor interprète des textes d’une variété extraordinaire, allant de la chanson paillarde à des textes poétiques, dont le choix témoigne par ailleurs d’un goût littéraire prononcé. On passe ainsi d’un texte de Serge Lama et des chansons paillardes comme La truite de Schubert – un des (rares) moments forts du spectacle – à des poèmes de Victor Hugo, Guillaume Apollinaire ou Paul Verlaine. Par ailleurs, Jean-Paul Fouchécourt s’adonne tout le long de la représentation à plusieurs tours de magie parfaitement maitrisés, donnant lieu à de très belles images. Jean Lacornerie explique en effet que « l’art de la magie convient parfaitement à la musique », car « La magie dégage une poésie qui laisse les sons en suspens, qui aiguise l’écoute du spectateur ». Si l’observation est juste, elle ne justifie pas un choix de mise en scène qui tient lieu de leitmotiv et accompagne tout le déroulement du spectacle. La magie ne devrait pas « convenir » ; elle devrait être nécessaire, indispensable, pour avoir sa place dans ce spectacle. Or, cette lacune est représentative de ce qui fait, pour moi, l’extrême médiocrité de « Menu : Plaisirs » : le problème ne réside pas tant dans le contenu des différents numéros, que dans la manière dont ils sont amenés, justifiés, liés les uns aux autres. L’art de la scène n’est pas assimilable à l’industrie musicale qui a pour habitude de produire régulièrement des « best of » de certains artistes ; et de la même manière qu’on imaginerait mal un écrivain publier un livre contenant ce qu’il considère comme ses meilleures phrases, une simple juxtaposition de numéros grivois n’a, selon moi, pas vocation à être présentée sur une scène théâtrale.
J’estime que ce qui a lieu sur un plateau de théâtre ne peut et ne doit être lié à un simple désir de (se) faire plaisir : il s’agit de choix qu’il convient de défendre avec courage et intelligence, au risque qu’ils ne deviennent que de « menus plaisirs » pour le spectateur qui, lui, a fait le choix de venir.
"Menu : plaisirs"
mise en scène: Jean Lacornerie
chant: Jean-Paul Fouchécourt
piano: Jamal Moqadam
magie: Thierry Collet
Production: Théâtre de la Croix-Rousse,
avec le soutien de la Ferme aux Arts et le
nouveau théâtre de Montreuil
04- 08 novembre 2015
Alice Wagner


Des plumes et des pages
Jeudi 13 novembre. 19h à La Librairie du Tramway. Remise du prix du Plus Bel Editeur de l’Année et rencontre littéraire.
La Librairie Du Tramway
92 Rue Moncey, 69003 Lyon 03
04 78 14 52 27
Personnalités présentes :
Dominique Bourgois, directrice des éditions Christian Bourgois
Christine Laferrière, traductrice
Michel Deutsch, écrivain, dramaturge, traducteur, metteur en scène et scénariste
Bruno Bayen, romancier, dramaturge, traducteur et metteur en scène
Jean-Christophe Bailly, écrivain, poète et dramaturge
Gilbert Vaudey, écrivain et essayiste
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Christian Bourgois disait souvent : « Je publie des livres pour les mettre sur la table et je les mets sur la table pour qu’il y ait discussion ».
Qu’en est-il de la littérature contemporaine ? Y-a-t-il toujours une discussion possible ? D’abord, on divise la littérature en genre, on met sur les œuvres des étiquettes, on les met dans des cases en quelque sorte. Cette division est malencontreuse car le genre, quel qu’il soit, reste soumis à la littérature. En Allemagne, par exemple, le théâtre ne fait pas bande à part en littérature, de même pour la poésie ou le roman. Le problème du théâtre en France est qu’il n’y a pas ou peu de lecteurs, si ce n’est les comédiens et les étudiants.
Quoique rares, il existe des exceptions : la discussion s’oriente rapidement sur Grand Homme de Chloe Hooper et Une saison de coton de James Agee. La première œuvre a été publiée le 27 août 2009 et la seconde est parue le 15 septembre 2014 aux éditions Bourgois. Malgré leur côté sociologique, ces livres sont placés sur les étagères des librairies comme œuvres littéraires, certainement de par le lyrisme qui transparaît au fil des lignes.
On a beau dire, la littérature a changé et les habitudes des lecteurs aussi. Dominique Bourgois fait allusion aux éditions 10/18. En 1968, son mari, Christian Bourgois, prend la direction de cette maison d’édition ; la mode est aux sciences humaines et aux grands classiques de la littérature. Quoi de neuf du côté des achats du lecteur moderne ? Les sciences humaines sont en perte de vitesse et les grands classiques intéressent de moins en moins. « Avec 10/18, on a eu beaucoup de réussite, on publiait tout. On a récemment réédité Dickens ou Kipling, c’était un échec » précise Dominique Bourgois, Plus Belle Editrice de l’Année pour La Librairie du Tramway. Elle ajoute :
« Aujourd’hui, il n’y a plus de lecteurs pour les livres qui marchaient auparavant. On ne trouve plus de librairie non plus parce que certains livres ne « tournent » pas. Je le regrette beaucoup et parfois, je trouve navrant que certains de ces livres n’existent plus dans de nouvelles éditions […] On ne peut plus se permettre de publier au gré de nos envies, même si notre subjectivité nous dit que c’est un chef-d’œuvre. Mais nous ne nous laissons pas influencer par l’effet de vitrine des rentrées littéraires, on conserve un processus de littérature patiente et réfléchie. On ne fait pas non plus pression sur nos auteurs, on les soigne ».
Elle se tourne vers Gilbert Vaudey et lui demande ce qu’il en pense.
Gilbert Vaudey, un peu gêné, répond :
« Ma vocation d’écrivain est fluctuante et sujette à beaucoup de doute (rires dans l’assistance). Pour mon premier portant sur le Pérou, (Ndr : Arrière histoire du Pérou) j’étais content parce que j’étais publié en 79 chez Christian Bourgoin, j’avais 34 ans. Je pouvais au moins l’offrir à mes amis, (à nouveau, rire dans l’assistance) et puis trente-quatre ans après, mon deuxième roman sur Lyon (Ndr : Le nom de Lyon) ».
Peu après, Michel Deutsch prend la parole :
« Aujourd’hui tout est occupé par les romans, ou du moins le deux tiers, et c’est pareil pour les émissions de télévision littéraires. A l’époque où il n’y avait qu’une seule chaîne, il y avait l’émission de Pivot, Lectures pour tous, etc. Maintenant, on a l’impression que la littérature a changé de contenu parce que dans les année 70, on ne se posait pas de question sur la fin du livre ».
Jean-Christophe Bailly rétorque : « Je ne suis pas d’accord. A l’époque, on se disait que le livre de poche allait tuer le gros bouquin. Je t’accorde qu’aujourd’hui, quand je lis de nouveaux livres, certains me tombent des mains. »
Une dame dans l’assistance demande la parole. Sa fille trouve que les couvertures choisies par les éditions Bourgois sont très jolies et elle aimerait pouvoir lire des histoires de son âge avec de si belles couvertures. La question est lancée : pourquoi les éditions Bourgois ne publient pas de livres jeunesse ? Ce à quoi Dominique Bourgois répond :
« La littérature jeunesse marche bien et il y a même de très beaux ouvrages. Par contre, il y a quelque chose qui m’exaspère, c’est ce qu’ils appellent le young adult. Quand tu as treize ans, tu sais lire, donc tu lis tout. Il y a des livres qui sont pour toutes les générations, les enfants, les grand-mères, les ados. C’est le cas de Peter Hobbs pour Un verger au Pakistan. A la base, cela me semblait être un conte sur le pardon, la reconstruction, mais il n’y a pas qu’une seule lecture… […] Le livre est cher s’il est beau, notamment si l’esthétique de la couverture est travaillée. C’est ce qu’on nous reproche parfois mais face à la numérisation croissante de la littérature, on est obligé de s’aligner ».
« Moi je refuserai d’être publié par certaines maisons d’édition, tellement leurs livres sont affreux » avoue l’un des invités.
Et la traduction dans tout ça ? La traduction est une relation de confiance. Qui va traduire cet auteur ? Quels sont les difficultés de traduction ? Il est vrai que les traducteurs traduisent de différentes façons mais certaines propositions de traduction ne « passent » pas. Donc comment savoir si un livre a bien été traduit ? C’est une prise de risque. Christine Laferrière a été recommandé aux éditions Bourgois par Vincent Ferré, à l’époque universitaire spécialiste du roman de la première moitié du XXe siècle, notamment Proust, également connu pour ses travaux sur l’œuvre de J. R. R. Tolkien ; Les éditions Bourgois ont pris le risque et elles ont bien fait : grâce à Mme. Laferrière, le public français a pu découvrir entre autres Le Seigneur des Anneaux.
« J’ai commencé par des essais de Tolkien puis j’en suis venu à de la littérature contemporaine parmi une variété de textes exigeants. Outre la difficulté en traduction, on traduit avant tout pour le plaisir des lecteurs. […] Réussir à retranscrire une langue dépend de la façon avec laquelle on perçoit la traduction. Chacun ne se sent pas capable de traduire telle ou telle œuvre. Il faut accepter de vivre avec son histoire et ses personnages. Lorsque je traduis, ma tête devient un grenier où tout le monde se bat. Et puis il faut vivre avec le langage particulier de l’auteur. La traduction, c’est un marathon éprouvant et jubilatoire. […] En plus de cela, le traducteur doit faire avec les moyens de son temps car la traduction s’inscrit toujours dans une époque donnée. Aujourd’hui, avec les moyens auxquels il a accès, il n’a plus le droit à l’erreur. »
Christine Lafferière
La soirée s’est terminée avec un petit verre de vin aux sons d’un trio de jazz invité spécialement pour l’occasion. La conversation, elle, a continué un petit moment pour le plus grand plaisir des participants.
Au nom du Master T.L.E.C., je remercie la Librairie du Tramway et les personnalités professionnelles invitées pour cette rencontre, aussi humble que captivante.
Hugo Polizzi
LA LITTERATURE : EDITION, LECTORAT ET TRADUCTION


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