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Les Mauvaises Langues

Le français comme langue d'écriture et d'adoption

 

La langue maternelle est définie en français comme la première langue d’un individu apprise inconsciemment par l’environnement familial, tandis que la langue d’adoption est celle apprise plus tardivement par celui qui s’installe dans un pays étranger. Les images de la mère et l’adoption nous renvoient l’idée que la langue est conçue comme une question de famille, là où la langue maternelle est presque signe de rapport de sang et celle d’adoption représente plus un choix du sujet.

 

Lorsque nous pensons à une personne bilingue, il est souvent question d’enfants de couples mixtes ou d’étrangers habitant dans notre pays ; cette définition serait toutefois assez limitative puisqu’il peut s’agir d’une personne partie vivre dans un pays étranger qui se retrouve à apprendre une nouvelle langue. L’apprentissage de celle-ci sera moins inconscient et, souvent, se fera à l’aide d’une société entière et avec beaucoup plus de travail personnel de l’individu en question.

 

Au-delà de la question de l’oral, cette rubrique essaie de réfléchir autour de quelques auteurs littéraires parmi tous ceux qui écrivent en français comme langue choisie. Il s’agit donc des écrivains qui, pour des raisons diverses et variées, se retrouvent à vivre en France et « adoptent » le français comme langue d’écriture. Certains continueront à écrire en parallèle dans leur langue maternelle, d’autres n’écriront qu’en français.

 

Loin de vouloir faire une étude rigoureuse, ici on voudrait mettre en avant tous les ouvrages d’écrivains bilingues qui nous touchent et qui, tout simplement, nous plaisent. Quels sont les enjeux qui se déploient dans l’écriture avec une langue étrangère ? Déjà, l’appellation « étrangère » est-elle destinée à durer pour toujours chez une personne ou bien il existe un moment où maternel et adoptif se confondent ?

Une chose est sûre : la deuxième langue devient parfois un moyen d’expression plus fort, puisqu’il s’agit d’une langue où, parfois, l’auteur se sent plus légitime de créer, d’inventer, d’oser. L’exploration devient alors à la fois une forme d’apprentissage et une recherche créative.

 

 

 

 

 

 

 

1. Luba Jurgenson, Au lieu du péril

 

Il y a quelques semaines, je me suis souvenue d’une réflexion que j’avais l’habitude de me faire quand j'avais 7-8 ans. À l’époque, j’avais commencé à lire Harry Potter, et lorsque mes parents m’avaient appris que le personnage de « Silente » s’appelait en réalité « Dumbledore », j’avais été très frappée. L’italien n'était pas pour moi une langue mais le langage qui avait donné vie aux objets dans la nuit des temps. Une sedia était à l’époque ce qu’après j’aurais appris à appeler « le signifié » du signe et non pas le signifiant de "chaise" : toutes les autres langues me paraissaient des subrogés. Silente était né Silente quoi qu’on en dise, hors de question qu’il s’agisse d’un cousin de l’original anglais.

 

Cette réflexion avait lieu à un moment de ma vie où je n’aurais jamais pu concevoir la personne que je suis maintenant et le texte que j’écris à l’instant alors que, lors de mon adolescence, j’étais fascinée par les langues : j’aurais pu concevoir tout cela mais il s’agissait plus ou moins d’une rêverie utopique. J’ai changé de « centre de gravité permanent » (la référence est à Franco Battiato), comme si l’homme allait s’installer définitivement sur la lune et regardait de temps en temps la terre, assis dehors en terrasse. J’exagère exprès lorsque je compare un voyage assez confortable en TGV à une expédition sur la lune, mais je me mets à la place de l’enfant que j’ai été et de ce qu’elle aurait pu penser.

 

Le nouveau livre de Luba Jurgenson, Au lieu du péril (Verdier, 2014), est arrivé dans un moment délicat pour moi où je me sentais, plus que jamais, loin de ma langue maternelle et de mon pays d’origine. Par paresse, j’avais arrêté moi aussi de prononcer mon prénom avec l’accent italien, puisque je me sentais souvent en décalage, jusqu’au point où, dans ma tête, je m’appelais vraiment à la française. Il n'y a pas très longtemps, une copine me racontait que sa mère, arrivée en France avec ses parents encore très jeune, avait changé son prénom, de Francesca à Françoise : cette anecdote m’avait paru extrême, d’autant plus qu’il s’agissait de mon prénom. J’avais l’impression de voyager dans une voiture sans frein et que j’allais bientôt m’écraser.

 

C’était un moment où il me fallait ce genre de livre, qui a su être à la fois une découverte mais aussi une redécouverte de ce que je suis et que je ne sais pas nommer. Au lieu du péril a représenté, à mon sens, un voyage entre un pôle et un autre, suspendue entre ces deux univers dans une non-réalité hybride où les mots ont un corps en métamorphose et rien n’est figé. La langue n’est plus la langue en tant que telle, exclue de tout contexte : c’est une langue associée à un corps et à un temps précis.

 

C’est là que j’ai compris que, dans mes calculs, je n’avais jamais pensé à la temporalité : comme l’auteure du livre, j’ai appris le français assez tardivement (à l’université) et donc je ne possède pas une vie antérieure dans cette langue. « Ce qui me manque quand je traduis : les choses de l’enfance. Mon français n’a pas d’enfance, c’est une langue née adulte. Pas de petites locutions familiales, pas de jargon scolaire, pas de séjours à la campagne ni à la mer, riches en locutions du cru, pas de grand-mère qui m’aurait récité des contes. Toute une vie antérieure inventée, à rebours. » (p. 98) Je me revois aux soirées entre amis en France où il est deux heures du matin et on a tous bu, et quelqu’un se met à chanter des chansons françaises que tout le monde connaît sauf moi. Je m’éclipse aux toilettes parce qu’il s’agit d’un passé qui ne m’appartient pas et que je ne peux pas faire semblant de maitriser.

 

Francesca Caiazzo

 

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